Trois axes de recherche ont été définis :
Le premier axe de recherche concerne la part d’imagination dans l’écriture de l’histoire, et la vérité historique à laquelle l’imagination peut conduire. La question se pose en premier lieu à l’historien : dans quelle mesure l’imagination entre-t-elle dans la constitution d’un objet d’étude ? Quelle part a-t-elle dans l’écriture de l’histoire ? Met-elle en péril la prétention de la discipline historique à la scientificité ?
Mais la question se pose aussi dans les champs littéraire et philosophique. Il s’agira alors de se demander si le romancier ou le poète peuvent faire oeuvre d’historiens – on se souvient de l’ambition des écrivains réalistes, comme Balzac , ou encore de Zola, qui prétendait écrire « L’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire » – et en quoi l’imagination peut apporter un surcroît de vérité à la représentation de l’histoire. Dans le champ de la philosophie, on se demandera par exemple ce que la fiction ou le mythe historiques peuvent apporter à la représentation et à la compréhension de l’histoire.
Certains points seront abordés de manière privilégiée : - le rapport entre les sciences humaines et la littérature : on se demandera si les écrits littéraires peuvent être un document de travail pour l’historien et comment ce dernier peut travailler à partir de telles sources. On s’interrogera alors, réciproquement, sur l’usage que peut faire l’écrivain des sources historiques. Enfin, ceci nous amènera à nous intéresser plus largement à la façon dont les sciences humaines peuvent faire du champ littéraire un objet d’étude, dans la perspective par exemple de Judith Lyon-Caen et de Dinah Ribard qui, dans L’historien et la littérature, se situent « du point de vue de l’histoire, mais d’une histoire qui ferait de la littérature non pas un réservoir de sources, mais son objet même. ». - les représentations de l’histoire : on se demandera comment l’histoire peut être écrite, mise en récit, en s’interrogeant notamment sur les spécificités du roman, du théâtre, de la poésie, du mythe, du discours philosophique, par rapport au discours historiographique. Ainsi, de quelle manière spécifique la poésie, au sens étymologique du terme, peut-elle donner à voir l’histoire, faire entendre ses acteurs, révéler ce qui s’y joue ? On se demandera par exemple comment le récit mythique entre en concurrence avec le récit historique, comment le roman historique entremêle réalité et imaginaire, ou encore comment la poésie peut être engagée dans le processus historique. - l’histoire d’une vie : l’écriture de la biographie en histoire engage des problèmes spécifiques, liés à la nécessaire recréation d’une vie. Ainsi, on s’intéressera particulièrement au genre de la biographie dans le champ historique, autour notamment de l’ouvrage récent de Sabina Loriga, Le petit x. De la biographie à l’histoire , mais aussi aux biographies et récits de vie fictifs de personnages historiques et on se demandera en quoi le romancier peut se faire historien d’une vie en tentant de reconstituer l’existence d’un acteur de l’histoire : en somme, quelle peut être la vérité historique des Mémoires d’Hadrien ou de La mort est mon métier ? On s’interrogera en outre sur l’histoire des individus ordinaires dans l’Histoire, dans la perspective de la micro-histoire : le processus de recréation de « L’univers d’un meunier du XVIe siècle » semble en effet appeler de façon privilégiée la notion d’imagination, tout comme l’écriture des « vies minuscules » des hommes ordinaires dans l’oeuvre de Pierre Michon, par exemple. Biographies, autobiographies, mémoires, qu’ils soient réels ou fictifs, seront donc des objets d’étude en tant qu’ils engagent à titre exemplaire la reconstruction du passé et un imaginaire de soi et de l’Histoire.
Dans un deuxième temps, il s’agira de s’interroger sur les imaginaires véhiculés par l’écriture et par les représentations de l’histoire. On se demandera donc comment la littérature, par le détour de la fiction, illustre des modes d’intelligibilité de l’histoire, et comment la philosophie en propose des imaginaires. Il sera intéressant aussi de voir comment se développent dans ces champs des imaginaires critiques de l’histoire, soulignant qu’elle n’est pas un objet scientifique régi par une pure rationalité. On se demandera alors comment la discipline historique, en réponse, véhicule un imaginaire d’elle-même, dans la perspective des analyses de Michel de Certeau dans L’Ecriture de l’histoire selon qui « L’histoire est devenue notre mythe » en prenant le relais des mythes primitifs pour expliquer rationnellement notre société.
Il sera également important, dans cet axe de recherche, de s’intéresser plus spécifiquement aux récits résolument imaginatifs, qui rompent totalement avec la narration factuelle en récrivant l’histoire passée, en imaginant une histoire alternative à l’histoire réelle ou en prophétisant l’histoire à venir. Ainsi, l’histoire contrefactuelle, l’imaginaire de l’Apocalypse ou de la rédemption par un messie, dans le domaine de la science-fiction mais aussi dans des oeuvres qui rendent compte de la fin réelle d’une époque selon un imaginaire apocalyptique , seront des objets d’étude privilégiés.
Il faudra alors se demander quel imaginaire particulier de l’histoire est véhiculé par ces représentations fantasmées : que dit le romancier de l’histoire réelle en fantasmant une autre histoire ou en imaginant sa fin ? La science-fiction nous intéressera particulièrement, en tant qu’elle dit une histoire imaginaire pour représenter et critiquer l’histoire réelle passée ou des temps présents. Quel peut alors être l’intérêt pour l’historien d’étudier ces représentations imaginaires ? Et comment un imaginaire de l’histoire peut-il agir sur l’histoire ?
Enfin, le troisième axe de recherche concernera plus précisément la mise en images de l’histoire, que ce soit au cinéma, dans la bande-dessinée, ou en peinture. Il s’agira de s’intéresser aux représentations imagées de l’histoire, et aux imaginaires historiques et philosophiques véhiculés par celles-ci, notamment dans un monde contemporain obsédé par le devoir de mémoire, où l’histoire est l’un des sujets privilégiés de quantité de films, romans et bande-dessinées. On pourra s’interroger également sur l’étude de ces images de l’histoire dans le champ de la discipline historique.
Ainsi, on se demandera par exemple comment la bande-dessinée, genre en pleine expansion, fait de l’histoire l’un de ses objets principaux, et propose un discours sur l’histoire spécifique. On s’intéressera notamment aux cas d’adaptation du discours historiographique en bande-dessinée, comme Une Histoire populaire des Etats-Unis de l’historien américain Howard Zinn, adaptée par Paul Buhle .
De même, l’étude des représentations cinématographiques de l’histoire, et de la guerre en particulier, sera un axe de recherche privilégié. En effet, à travers surtout des images de guerre et de violence, qui envahissent de nos jours les écrans, le cinéma véhicule une conception de l’histoire qu’il faudra interroger. On notera en outre, dans ce domaine, que les productions contemporaines sont largement marquées par un imaginaire de la fin de l’histoire, et la question de l’imaginaire d’une autre histoire sera également posée dans le champ des études cinématographiques.